Grande école - Université : le mariage impossible ?

Interview d'Isabelle Barth, directrice de l'EM Strasbourg qui présente l'aliance atypique de son école avec l'université de Strasbourg : "un système public-privé intelligent"

Isabelle Barth, directrice de l'EM Strasbourg
Isabelle Barth, directrice de l'EM Strasbourg

    Grande école de commerce hébergée par une université, l’EM Strasbourg est un cas à part dans le monde des business schools made in France. Une spécificité renforcée par le fait que le directeur… est une directrice. Ce qui est encore très rare dans cet univers trusté par les hommes. Rencontre avec Isabelle Barth, une universitaire de haut niveau qui nous donne un point de vue très personnel sur l’enseignement supérieur.

    Votre école est un objet hybride, puisqu’elle appartient à l’université de Strasbourg tout en étant une grande école autonome avec des frais de scolarité comparables aux autres. A la lueur de votre expérience, faut-il que les autres écoles se rapprochent des facs ?

    Le modèle de Strasbourg est particulier car il est historique. Ici, l'université nous a délégué véritablement la formation en management et à la gestion sur un modèle payant, pour nos bachelors ou notre ou notre programme grande école. Nos masters universitaires, eux, sont financés par les entreprises via l'apprentissage et la formation continue. Nous avons fonctionné par hybridation en imaginant un système public-privé intelligent. En ce qui concerne les autres écoles, après avoir évoqué le rapprochement avec le monde universitaire, il semble que l'heure soit plutôt aux grandes fusions qu'au rattachement aux universités voisines. Et c'est assez normal, grandes écoles et universités ont des visions du monde très différentes. La greffe serait extrêmement difficile à prendre.

    Parmi les équipes de l’Université de Strasbourg, tout le monde voit d’un bon œil le fait qu’une école interne impose des frais de scolarité élevés ?

    Les ambitions stratégiques de l'Université de Strasbourg s'alignent avec les nôtres. Le président Alain Beretz et son équipe soutiennent l'école. Mes relations avec les doyens des autres composantes sont excellentes, j'en veux pour preuve nos nombreux partenariats. Souvent l'EM Strasbourg peut être une tête de pont capable de faire bénéficier l'université de son expérience (relations entreprises, Alumni, accréditations…).

    Mais l'université dispose aussi d'une représentation démocratique en ébullition permanente pouvant souhaiter remettre en cause nos frais de scolarité, nos moyens, nos ambitions à l'international ou tout simplement notre développement. Etant moi-même universitaire, je respecte cette autre vision de l'enseignement supérieur mais je ne cherche pas à les convaincre, Je pense qu'il est important de proposer des alternatives aux étudiants et à leurs familles. Le tout gratuit est impossible. Je suis d'ailleurs convaincue que gratuité ne peut rimer qu'avec médiocrité, faute de moyens suffisants face au nombre d'étudiants à prendre en charge. Je ne parle évidemment pas des filières hyper sélectives au-delà de la licence, où des expertises fortes et reconnues sont développées dans les universités françaises. En revanche, je revendique l'identité universitaire de l'EM Strasbourg, nous voulons former des étudiants capables d'évoluer et de réfléchir et pas simplement des individus « prêts à l'emploi ».

    Pourquoi l’EM Strasbourg a-t-elle mis le paquet sur l’apprentissage ?

    Nous comptons plus de 250 apprentis, la majorité d'entre eux étant inscrits en master universitaire. En effet, au sein du PGE (programme Grande Ecole), nous avons plus de places disponibles que de candidats. Je suis à l'aise avec cette différence : tous les étudiants ne souhaitent pas recourir à l'apprentissage et nous devons respecter ce choix. Néanmoins cette formule d'études comporte de nombreux avantages : salaire, expérience, maturité, insertion rapide, etc. Je suis convaincue tout de même que bon nombre de familles vont choisir cette voie au regard de ces atouts dans une période de crise. Après tout, l'apprentissage donne accès à l'enseignement supérieur sélectif à moindre coût. C'est un outil d'ouverture sociale et de diversité inouï.

    J’insiste par ailleurs sur le fait que les entreprises doivent jouer le jeu de l’apprentissage. Elles doivent accueillir l’étudiant dans de bonnes conditions et ne pas le voir comme un employé comme un autre. C’est un investissement : au début les coûts sont importants, ce n’est que progressivement que l’apprenti va apporter de la valeur à l’entreprise.

    Concernant votre fonction, pourquoi il y a si peu de femmes à la tête des établissements d’enseignement supérieur ?

    Le "si peu" vient d'ailleurs d'être chiffré : 6,5% ! C'est dommage et insultant pour l'enseignement supérieur qui devrait être exemplaire en la matière. Il y a les réponses classiques : les femmes privilégient leur vie personnelle et familiale et s'autocensurent vis-à-vis des postes à responsabilités. Nous l'avons encore mis en avant dans une étude récente menée auprès des étudiantes de Business Schools. Ensuite, les femmes ont un rapport à la légitimité moins simple que les hommes qui se sentent d'emblée légitimes sans se poser la question de la compétence. Elles ont moins envie du pouvoir, elles préfèrent privilégier les projets. Enfin, elles sont moins en prise avec les codes d'un monde masculin (elles utilisent mal les réseaux par exemple). La spécificité de l'Université et son paradoxe est que l'égalité de traitement (fonction publique oblige) permet d'entretenir le déni de ce plafond de verre.

    Propos recueillis par Gilbert Azoulay

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