Le (très) juteux business du soutien scolaire

MyMentor, Superprof ou Kartable… Ces start-up du numérique obligent les mastodontes du cours particulier à revoir leur stratégie et à se diversifier.

Dans le tout nouvel espace de colearning d’Acadomia à Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine), Marie-France Michel donne un cours de français à Lylia et Thayss. LP/Olivier Arandel
Dans le tout nouvel espace de colearning d’Acadomia à Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine), Marie-France Michel donne un cours de français à Lylia et Thayss. LP/Olivier Arandel

    Lylia et Thayss, 12 et 13 ans, se concentrent sur leurs exercices de français, sous l’œil vigilant de Marie-France Michel, professeur à la retraite. Dans la salle voisine, seule au tableau, Béatrice, en seconde, s’échine sur un exercice de factorisation. Entre les deux, un peu à l’écart dans un box au design épuré, Erwann, en 5e dans un collège public voisin, muscle ses méthodes de travail avec Richard Befayt, le coach de cette toute nouvelle structure.

    Philippe Coléon, le patron d’Acadomia, n’est pas peu fier de présenter son dernier bébé, « un espace de co-learning » à Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine) qui ressemble furieusement aux incubateurs de start-up, ces fourmilières où de jeunes pousses de l’économie sont hébergées le temps de voler de leurs propres ailes. « C’est un lieu entre l’école et la maison, où l’on peut venir à la carte, simplement pour étudier au calme, travailler la confiance en soi, faire ses devoirs seul ou à plusieurs », détaille l’ancien publicitaire, qui a fait de son entreprise le numéro un du soutien scolaire en France.

    Drifa, 46 ans, la maman d’Erwann, a tout de suite été séduite. L’hôtesse d’accueil élève seule son enfant. Elle ne gagne que 1 200 euros, mais a pourtant consenti un gros sacrifice : débourser 70 euros par mois pour que son fils puisse fréquenter l’endroit. « À la maison, il est tenté de jouer à la console. Et puis, je suis trop sur son dos. Ici, il peut travailler plus sereinement, tout en étant encadré par de bons professionnels. Ça ne fait pas longtemps qu’il est là mais les résultats s’en ressentent déjà et ça me tranquillise. »

    Se réinventer pour attirer de nouveaux clients, c’est le pari que fait Acadomia,

    qui suit déjà plus de 100 000 élèves pour un chiffre d’affaires d’environ 150 millions d’euros. Implanté stratégiquement à la croisée de plusieurs établissements scolaires, l’espace de co-learning de Clichy est le deuxième du genre.

    Le premier avait été inauguré en grande pompe l’an dernier, dans le XVIIe arrondissement de Paris. Sur la devanture, les autres offres s’affichent en grandes lettres : « cours particuliers », « cours en petits groupes », « stages pendant les vacances de Noël »… Le tout se décline dans une flopée de matières. Inès, avant d’intégrer l’espace de co-learning, avait déjà fait un stage de prérentrée pour se « remettre à niveau en maths », la matière la plus demandée. C’est ce qui a conduit ses parents à l’inscrire.

    Philippe Coléon, le patron d'Acadomia, reproche aux plates-formes de favoriser le travail au noir, une plaie du secteur./LP/Olivier Arandel

    Selon le cabinet d’analyses Xerfi, le soutien scolaire pèse aujourd’hui près de 2 milliards d’euros en France. C’est le plus gros marché européen, loin devant l’Allemagne. Et il devrait encore progresser d’ici à 2020, prédit l’institut. Mais seuls 350 millions d’euros tombent dans les poches d’organismes privés, comme Acadomia, Complétude ou les Cours Legendre. Où va le reste ? En grande partie sur le marché du gré à gré, c’est-à-dire entre particuliers. Un segment sur lequel déboulent depuis quelques années de nouveaux acteurs venus du numérique comme Clevermate ou MyMentor ou Kartable.

    Les opérateurs historiques bousculés par des start-up

    Ces start-up bousculent le paysage du soutien et obligent les opérateurs historiques à revoir leur stratégie. Complétude a mis un pied dans la garde d’enfants avec la création de Kinougarde, les Cours Legendre ont décidé d’étoffer leur offre de préparation aux concours, quant à Acadomia, elle investit, entre autres, de plus en plus dans le soutien scolaire aux jeunes sportifs.

    Après avoir signé un partenariat avec la Fédération française de handball, le centre de formation de l’AJ Auxerre ou encore le club de natation de Mulhouse, la société de Philippe Coléon s’apprête à ouvrir, à la rentrée prochaine, une « école » à Lyon avec le basketteur Tony Parker.

    En quête de nouvelles sources de revenus, ces sociétés jouent aussi la carte de la qualité pour contrer leurs nouveaux concurrents. Le plus en vue, Superprof, a installé son siège à quelques stations de métro du centre de co-learning d’Acadomia, dans un ancien hôtel particulier du très chic VIIIe arrondissement de Paris. Dans ces locaux fraîchement rénovés, la moyenne d’âge n’excède pas 30 ans. On y travaille plutôt en jean-basket, mais à un rythme très soutenu.

    L’ubérisation des cours particuliers

    « On nous appelle souvent le Uber ou le Airbnb du soutien scolaire, d’autres fois Leboncoin du cours particulier », s’amuse Wilfried Granier, cofondateur de l’entreprise. L’idée en apparence toute simple de l’ex-ingénieur en informatique de 35 ans ? Mettre en relation professeurs et élèves sur sa plate-forme.

    Comme sur le site de locations d’appartements entre particuliers Airbnb, chacun peut se noter. Prix moyen du cours : 27 euros, auxquels il faut ajouter 49 euros d’abonnement annuel pour accéder aux annonces. Bien en dessous des tarifs pratiqués par les « gros » du secteur.

    «On nous appelle souvent le Uber ou le Airbnb du soutien scolaire», dit Wilfried Granier, fondateur de Superprof./LP/Olivier Arandel

    Le succès est fulgurant. Après seulement cinq ans d’existence, la start-up est implantée dans 22 pays et revendique une communauté de près de 4 millions de « profs » dans le monde, deux cents fois plus qu’Acadomia ! Le soutien scolaire tient le haut du pavé mais on y trouve aussi des formations pour adultes en musique, sport, dessin ou bricolage…

    «Ça veut dire quoi un prof cinq étoiles ?»

    Stéphane Duflocq, 28 ans, propose ses services depuis un an sur Superprof, après l’avoir fait pendant sept ans par le biais de petites annonces classiques. Classé parmi les meilleurs profs, ce thésard en pharmacie fait partie du cercle fermé des « ambassadeurs » de la marque. « C’est notamment parce qu’il a beaucoup d’avis très positifs d’élèves et qu’il est très réactif. Le temps de réponse à une sollicitation, c’est un très important pour nous », explique Meryem El Ayoubi, directrice marketing de Superprof.

    Les (bons) avis de ses élèves en mathématiques valent à Stéphane de faire partie du cercle restreint des «ambassadeurs» de Superprof./LP/Olivier Arandel

    Ce statut lui permet d’afficher sans peine ses cours de chimie à des tarifs plus de deux fois supérieurs à la moyenne du site, entre 55 euros pour une heure à distance, par webcam, à 65 euros pour une prestation à domicile dans la région parisienne. Des sommes qui lui sont directement payées par les clients. Et la demande ne manque pas. « J’ai une quarantaine d’élèves en tout, dont sept réguliers. »

    L’évocation de ce système a le don de mettre en boule la concurrence. « Ça veut dire quoi un prof cinq étoiles ? Chez nous, il y a des conseillers pédagogiques qui se chargent de trouver les profils les mieux adaptés à chaque élève et c’est ça qui marche », s’agace Philippe Coléon, qui reproche aussi aux plates-formes de favoriser le travail au noir, une plaie du secteur.

    Les familles pour arbitres

    À peu de chose près, les mêmes arguments sont développés par le patron de Complétude. « Avec ces sites, on ne sait pas toujours qui vient chez vous, même avec les commentaires des élèves », estime Hervé Lecat, centralien qui a fondé il y a trente ans cette société.

    Très bien implantée dans les grandes villes, le spécialiste du cours particulier a fait du CV de ses intervenants un argument de vente. Tous les ans, il commande aussi une enquête de satisfaction auprès de ses clients qu’il affiche en bonne place sur son site.

    « On sait qu’on délivre une bonne qualité de service et on apprécie que cela se sache. Notre garantie, c’est la satisfaction des familles », martèle Hervé Lecat. À la fin des fins, ce sont elles qui désigneront les vainqueurs de cette guerre commerciale.

    Écoles à la une

    Proposées par les écoles partenaires

    L'Ecole Multimedia
    Arts / Audiovisuel / Design
    Paris
    ISTEC
    Commerce / Gestion / Management
    Paris