Les prépas, des classes à haut niveau de stress

La pression subie dans ces établissements qui forment les élites du pays conduit parfois des étudiants au suicide. Entre esprit de compétition et course à la réussite, les classes préparatoires sont-elles les seules responsables ?

Le 31 mars 2019, un élève de Janson-de-Sailly, à Paris, s’est pendu dans la chambre de son internat. LP/ Guillaume Georges
Le 31 mars 2019, un élève de Janson-de-Sailly, à Paris, s’est pendu dans la chambre de son internat. LP/ Guillaume Georges

    LE PARISIEN WEEK-END. La pression subie dans ces établissements qui forment les élites du pays conduit parfois des étudiants au suicide. Entre esprit de compétition et course à la réussite, les classes préparatoires sont-elles les seules responsables ?

    Le drame s’est noué un dimanche soir, quand seuls les internes peuplent les bâtiments déserts du prestigieux lycée Janson-de-Sailly, à Paris (XVIe). Le 31 mars, aux alentours de 22 heures, Jian*, étudiant en seconde année de classe préparatoire aux grandes écoles de mathématiques et physique, a été retrouvé pendu par le colocataire avec qui il partageait sa petite chambre.

    Originaire de Taïwan, le jeune homme n’a pas laissé de lettre pour expliquer son geste. « Un brillant élève aux excellents résultats », comme le décrit le proviseur Patrick Sorin dans un mail adressé aux parents d’élèves. Derrière la façade en pierre de taille dominée par les bustes des grands écrivains comme Corneille ou Voltaire, les « jansoniens » sont sous le choc. « Mon ami est décédé. Il avait 20 ans. Il était brillant, témoigne une élève qui a bien connu Jian. Son décès est une tragédie et n’a rien à voir avec la pression des classes prépas. »

    « Chacun mesure la violence de ce drame », poursuit le directeur de l’établissement inauguré à la fin du XIXe siècle par Jules Ferry et d’où sont depuis sortis des hommes illustres comme Claude Lévi-Strauss, Valéry Giscard d’Estaing ou Robert Badinter. Une cérémonie de commémoration a été organisée le 8 avril en présence des parents du défunt et de plus de 350 personnes.

    «Elle n’a pas supporté d’avoir une note très moyenne»

    Fin novembre 2018, c’est une élève du lycée Hoche de Versailles (Yvelines) qui a mis fin à ses jours. « Elle était venue en seconde année, d’une autre prépa, relate Louis-Aimé de Fouquières, président des Anciens de Hoche, où il a lui-même étudié entre 1974 et 1977. Nous sommes tous très attristés. Ses anciens camarades se rappelaient fort bien que la jeune fille avait un très – trop ? – haut niveau d’exigence envers elle-même. Elle n’a pas supporté d’avoir une note très moyenne à sa première composition. »

    À Janson et Hoche, comme en 2009 et en 2013 au lycée Pierre-de-Fermat de Toulouse, ou en 2018 au lycée Raoul- Follereau de Belfort, des élèves de classes prépas se donnent la mort par pendaison ou défenestration au sein même de leur internat, voire directement dans leur salle de classe. Aucun chiffre ne permet d’évaluer précisément le phénomène, et le suicide demeure la deuxième cause de décès des 15-24 ans, prépa ou pas.

    Fin novembre 2018, une étudiante de prépa au lycée Hoche de Versailles (Yvelines) a mis fin à ses jours. LP/Julien Constant

    Heureusement, la plupart des 85 100 élèves inscrits dans ces classes qui préparent aux concours d’écoles aussi réputées que Polytechnique, l’ENA, Normale Sup ou HEC, traversent ces deux années de travail scolaire intense sans problème majeur. « Oui, ils évoluent dans un environnement stressant, mais la majorité va bien, relativise Christophe Ferveur, président du Réseau de soins psychiatriques et psychologiques pour les étudiants (Resppet). La pression de la réussite, l’éloignement familial, les conflits intérieurs ou les ruptures amoureuses sont des difficultés avant tout liées à l’âge et touchent tous les étudiants. Dire que c’est la prépa qui rend malade n’a pas de sens, c’est une conjonction de différents facteurs. »

    Deux moments difficiles en première année

    Certes, mais comme dans le cas des suicides au travail, le fait de se donner la mort entre les murs du lycée ou de l’internat n’est pas anodin. Pour Béatrice Lecarme, psychothérapeute, présidente du Soutien psycho-social d’urgence, une association spécialisée dans les traumatismes et la gestion du stress, « se suicider sur son lieu d’études, c’est signifier que ce passage à l’acte est lié à ce cadre. Une façon de montrer sa souffrance à ceux qui n’ont rien décelé ».

    Deux moments sont particulièrement difficiles en première année : en novembre, après le premier conseil de classe, et en février, avec la perspective du passage ou non en seconde année. De fait, proviseurs et professeurs informent dès la rentrée les élèves de cette forte pression et du rythme infernal de travail auquel ils seront astreints.

    « Mais ces précautions d’usage doivent-elles encourager la perpétuation d’un système archaïque, reposant sur l’humiliation, la dévalorisation et la mise sous pression extrême des élèves ? » interroge une ancienne élève de prépa, qui tient depuis 2016 le blog Prépasuicide (prepasuicide.overblog.com) pour témoigner et aider à la prévention des risques. Après quelques mois de prépa scientifique dans un lycée réputé en Bourgogne, épuisée, démotivée, terrorisée par l’idée de rater sa vie, elle songe à y mettre fin... « Le sujet du suicide est tabou, ajoute-t-elle. La classe préparatoire aux grandes écoles, voie royale de l’enseignement, est une grande famille élitiste qu’aucun de ses membres ne doit critiquer ni quitter. »

    Perte d’appétit, de sommeil, d’envie sont certains des signes qui montrent qu’un étudiant ne va pas bien et doivent donc alerter . « Ma fille avait toujours été une ado douce et, dès les premiers jours de sa première année, elle s’est sentie nulle, enchaînait crises de nerfs et d’angoisse, raconte Marianne Gentil, mère d’une jeune femme sortie d’une prépa littéraire parisienne en 2016. Pendant deux ans, toute la famille s’est pliée au rythme de la khâgne : devoirs, colères, mauvaises notes. Avec le recul, je pense que ma fille cumulait les symptômes d’une dépression. »

    « Scènes d’humiliation » et aide psychologique

    En cause, la violence des notes, la dévalorisation et la mise en compétition. « J’ai su prendre du recul et très bien supporté ma prépa commerciale, se souvient de son côté Nicolas Bedin, 30 ans, aujourd’hui contrôleur de gestion. Mais il est vrai qu’on met sa vie entre parenthèses pendant deux ans. Si nos résultats sont insuffisants, on sait qu’on n’obtiendra pas l’école de nos rêves. Certains abandonnent ou sombrent dans le mal-être. » Les décrocheurs et recalés sont nombreux. Dans les prépas littéraires, 50 % des élèves ne passent pas la première année.

    Résultat, selon le baromètre des classes préparatoires de l’EM Business School Strasbourg, 89 % des étudiants pensent que la prépa n’est pas faite pour tout le monde. Et 85 % pensent même que les concours sont un « marathon inhumain »... « Les rares élèves de prépas qui consultent une aide psychologique racontent des scènes d’humiliation de la part de leurs enseignants, raconte Béatrice Lecarme, la spécialiste du traumatisme. Comment peut-on encore croire qu’une mauvaise note ou que la dévalorisation motive un élève ? Ce stress intense bloque au contraire les connexions neuronales, donc l’apprentissage, la mémorisation, la concentration. En mode survie, on ne peut pas apprendre. »

    Certains professeurs font pourtant perdurer ces pratiques censées « endurcir » leurs disciples et assurer à leur lycée de figurer en haut du palmarès des meilleures classes préparatoires aux grandes écoles. Heureusement, « de plus en plus d’établissements font très attention et prennent en compte le bien-être de leurs élèves en proposant un soutien psychologique et en identifiant ceux qui se trouvent en difficulté », assure le psychiatre Dominique Monchablon, chef du Relais étudiants lycéens, une structure qui propose depuis dix ans un accueil spécifique aux étudiants de classes prépas surmenés à Paris. C’est le cas du célèbre lycée Henri-IV, qui a été le premier établissement de la capitale à faire rentrer des psys dans son enceinte, il y a dix ans. « La prépa n’est pas une maladie, conclut le docteur Monchablon. Mais il faut s’y préparer et ne pas hésiter à consulter quand le stress devient trop intense. »

    (*) Le prénom a été changé.

    Les signes qui doivent alerter

    Troubles du sommeil.

    Insomnies ou, même, hypersomnie conduisent à une fatigue extrême, un manque de concentration et à l’augmentation du stress, des angoisses, etc. « La plupart de ces troubles sont perçus comme des signes de faiblesse dans ces filières », explique Dominique Monchablon, psychiatre. Résultat, les étudiants ne consultent pas et s’enfoncent dans le mal-être.

    Sentiment de dévalorisation.

    Très brillants au lycée, les élèves voient leurs notes plonger à l’arrivée en prépa et pendant au moins cinq ou six mois. Ce qui peut les mener à perdre confiance en eux. Attention aussi à la perte d’envie quand elle dure plus de quinze jours.

    Isolement.

    Décrochage et abandon des cours coupent définitivement les élèves du soutien de leurs camarades et de la vigilance des adultes. Dans l’impasse, le suicide se présente comme une solution aux mauvaises notes et à la détresse. Alors qu’une consultation pour réévaluer les priorités peut résoudre le problème rapidement.

    Surémotivité.

    Les jeunes n’ont pas la même capacité à encaisser des émotions fortes. « Epuisés et déstabilisés, ils peuvent facilement perdre le contrôle, explique Béatrice Lecarme, psychothérapeute. Pour faire face et prendre du recul, je leur conseille de ne pas arrêter le sport, les loisirs, ni couper les ponts avec leurs proches et amis qui ne sont pas en classe prépa. »

    Sophie Stadler avec Julien Solonel

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