Réforme du Bac : la révolution du «grand oral»

Un rapport qui doit être remis mercredi au ministre de l’Education nationale esquisse les contours du nouveau baccalauréat qui entrera en application en 2021. L’une des principales nouveautés : un grand oral comptant pour 30 % de la note globale.

Le bac change de forme en 2021, une épreuve sous forme d'oral sera ajoutée. LP/ Jean-Baptiste Quentin
Le bac change de forme en 2021, une épreuve sous forme d'oral sera ajoutée. LP/ Jean-Baptiste Quentin

    Comment « restaurer la crédibilité » du bac, principal objectif affiché par le gouvernement pour réformer l’examen phare du système scolaire ?

    Pierre Mathiot, ancien directeur de Sciences-po Lille missionné pour réfléchir à la question, a trouvé un totem pour soutenir le vieil édifice du bachot : celui de la parole solennelle.

    A partir de 2021, tous les candidats au bac général et technologique devraient passer un grand oral, comptant pour près d’un tiers de la note de l’examen. Cette épreuve de trente minutes, sorte de super-exposé devant un jury de trois personnes, devrait porter sur un thème travaillé pendant l’année et mobiliser les connaissances dans une ou deux matières.

    => Bac 2021 : ce qui va changer pour les étudiants

    Cette proposition figure parmi les principales pistes du rapport remis demain par Pierre Mathiot au ministre de l’Education nationale, Jean- Michel Blanquer.

    L’encre en sera à peine sèche : dimanche encore, des arbitrages étaient attendus dans la rédaction du texte, bâti au terme d’une concertation marathon — une centaine d’auditions ont eu lieu en l’espace d’un mois. Les décisions finales ne seront pas connues avant une quinzaine de jours, après un dernier tour de table, mais « avant les vacances d’hiver », indique-t-on dans l’entourage du ministre.

    Le grand oral, dont le principe semble déjà acté, est dans l’air du temps.

    Toutes les grandes écoles ont leurs oraux d’entrée, et les formations à la prise de parole en public se multiplient, en classe comme dans les entreprises.

    La gouaille et le verbe font même recette au cinéma : le film « le Brio », qui met en scène une étudiante (Camélia Jordana) formée par son prof de fac (Daniel Auteuil) à l’art du verbe haut, a dépassé le million de spectateurs.

    Une prime aux langues déliées

    « C'est sûr qu'un grand oral fait chic ! réagit, un brin grinçant, le président de l'Association des professeurs d'histoire-géographie, Hubert Tison. Mais nous ne cachons pas nos craintes que cette affaire vire à l'usine à gaz, concrètement, dans les établissements. » Et d'anticiper une épreuve très chronophage qui risquerait selon lui de perturber les cours et désorganiser les lycées.

    Face aux réticences, Pierre Mathiot aurait, ces dernières semaines, « un peu révisé à la baisse ses ambitions », assure un responsable syndical, qui précise : « Il était question que des profs de fac soient présents dans le jury. Finalement, ce serait plutôt le proviseur ou un CPE qui apportera le regard extérieur nécessaire. » D'autres craignent que l'épreuve, en donnant une prime aux langues déliées, ne renforce encore plus les inégalités sociales. « Pour l'instant, la maîtrise de l'éloquence n'est pour ainsi dire pas enseignée, et on voit bien que ceux qui s'en sortent sont ceux qui viennent des milieux les plus aisés », constate Inès Bordet, étudiante à Sciences-po, sacrée championne du monde de débat en 2015.

    Selon le projet Mathiot, la réforme du lycée qui accompagnera la refonte du bac devrait faire une part plus belle à l’expression : en terminale, trois heures hebdomadaires pourraient être consacrées à des ateliers de méthodologie, d’aide à l’orientation… et de préparation au grand oral.

    « Ça me fait peur »

    Megane, 18 ans, en terminale S au lycée Voltaire (Paris XIe)

    C'est la pause-déjeuner pour Megane et Stella, élèves âgées de 18 ans en terminale S (scientifique) au lycée Voltaire à Paris (XI e). L'heure de reprendre des forces dans leur « cantine » à elles, une sandwicherie bon marché juste en face de l'établissement, avec au menu le fameux triptyque panini-frites mayo-soda. Mais lorsqu'on met sur la table la perspective d'un grand oral au bac, cela leur couperait presque l'appétit.

    « Quand ce n’est pas à un examen, l’oral, ça va. Mais quand c’est pour obtenir un diplôme, là, ça me fait peur », souffle Megane.

    « Il nous manque la méthode, la pédagogie pour mieux nous exprimer. On n’est pas assez entraînés pour faire face », enchaîne Stella.

    La « tête du client »

    La demoiselle garde en mémoire sa prestation ratée l'année dernière à l'oral du bac français. « Oh mon Dieu ! J'ai eu 9, j'ai perdu mes moyens alors que j'avais plutôt de bons résultats au cours de l'année. J'ai l'impression que l'oral, c'est pile ou face, on peut être très vite déstabilisé », estime-t-elle. « C'est un peu à la tête du client. Et cela avantage les élèves qui ont de la tchatche », poursuit sa copine qui, elle, a décroché un 8/20. A l'inverse, leur camarade de classe, Oumou, 19 ans, juge la proposition du grand oral « assez bonne ». « L'avantage d'avoir un jury de trois personnes, c'est que c'est plus démocratique. Elles peuvent avoir des avis différents. Cela rend moins aléatoire l'épreuve », analyse-t-elle.

    Juan aussi y est plutôt favorable. « C’est un plus de savoir bien s’exprimer pour trouver, plus tard, un travail », souligne l’ado de 17 ans

    , une casquette greffée sous sa capuche. Il recense tout de même quelques bémols : « Si t’es le premier à passer, ça va. Mais si t’es le quarante millième de la journée, là, c’est chaud, le jury est fatigué. C’est aussi un système qui va pénaliser les timides et les stressés », avance-t-il. « Et peut-être ceux qui viennent d’un pays différent parce qu’ils ont un accent », s’interroge sa voisine.

    Ulysse, 16 ans, en 1re L (littéraire), trouve que « c’est dans l’air du temps de favoriser l’oral ». « Mais on se dirige en même temps vers un amoindrissement de l’écrit », constate ce dévoreur de littérature.

    Apprendre à Écouter l’autre

    Ulysse regrette également qu’on n’apprenne pas aux élèves « à écouter l’autre, à débattre ». Lui semble déjà maîtriser l’art oratoire.

    « Pour apprendre à bien parler, il faut lire et observer les autres », résume-t-il.

    « C’est aussi un peu génétique », enchaîne son pote Ange, en 1 re S.

    En 3e au collège Voltaire, Sïam, 14 ans, qui fait partie de la classe d'âge qui devrait essuyer les plâtres de la réforme du bac, n'est guère angoissé. « Savoir s'exprimer, c'est la base, ça nous sert pour réussir dans la vie active », martèle le garçon, casque audio sur les oreilles. Sa camarade Cassi est plus nuancée : « Si le sujet me passionne, je m'en sortirai. Mais si c'est de l'anglais, ça va être compliqué pour moi », s'inquiète-t-elle. Brian, adepte de « la communication et de l'ouverture à l'autre », sent qu'il peut tirer son épingle du jeu. « A l'écrit, je fais pas mal de fautes. Mais à l'oral, je ne suis pas mauvais… »

    Vincent Mongaillard

    Christel Brigaudeau

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